Jocelyne – 60 ans.
Au chômage depuis deux ans et demi, mère de trois enfants et grand-mère de trois petites-filles, elle accompagne sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer.
Avec courage et sincérité, Jocelyne nous raconte son quotidien pesant.
« Ma mère est tombée malade en 2012. Elle avait alors 78 ans. Petit à petit, elle a perdu toute autonomie, et malgré sa bonne volonté, mon père âgé de 84 ans ne peut pas la prendre en charge et tenir la fonction d’aidant principal. Mes deux soeurs et moi-même avons donc dû nous organiser pour gérer leur quotidien. Nous sommes deux à habiter près de chez eux, du côté de Nîmes, et nous nous relayons pour assurer le suivi médical, personnel et administratif.
Par ma disponibilité, j’accompagne mes deux parents systématiquement à leurs rendez-vous médicaux. Dans la mesure du possible, je fais en sorte de stimuler maman de diverses façons… Je l’emmène aux haltes-répits (ndlr : lieux d’accueil non médicalisés qui proposent des activités adaptées aux personnes malades et permettent aux aidants de prendre du temps pour eux) organisées par France-Alzheimer Gard. Je fais en sorte de la sortir le plus souvent possible quand le temps le permet et lui propose des jeux de société. Ma sœur de Nîmes prend le relais au retour de son travail pour gérer la bonne conduite des repas du soir. Notre sœur de Béziers essaie de les prendre chez elle pour des séjours plus ou moins longs en fonction des besoins.
La pathologie de maman s’est aggravée récemment et nous essayons de mettre en place un réseau de personnes qui puisse nous soulager. Nous avons réactivé l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) que maman avait interrompue au bout d’un an car elle rechignait à se faire aider. Une aide-ménagère vient tous les matins pendant une heure. Une infirmière passe en fin de matinée et en fin d’après-midi. Nous avons instauré le portage de repas les jours de semaine et le week-end malgré une très vive réticence de notre papa. De plus, j’ai pris contact avec l’ESA (équipe spécialisée Alzheimer) afin de mettre en place les 15 séances annuelles de réadaptation auxquelles notre maman peut prétendre uniquement sur prescription médicale. J’essaie par ailleurs de finaliser un dossier pour des vacances organisées par France Alzheimer dans le courant du mois de mai. Ce séjour est réservé à la personne malade ainsi qu’à un aidant, notre papa ne souhaitant pas y participer je suis la seule disponible pour permettre à notre maman d’en bénéficier.
« Je crains pour la pérennité de mon couple »
Je suis actuellement au chômage, bientôt en fin de droits… Comment dans ces conditions est-il envisageable de reprendre une activité professionnelle quelle qu’elle soit, ma sœur et moi-même avons l’impression d’avoir 2 lieux d’habitation. Pour ma part, je cohabite avec mon époux plus que je ne vis avec lui. J’ai la chance qu’il soit un tant soit peu compréhensif et patient… Sa maman ayant eu également la maladie d’Alzheimer, nous l’avons hébergée pendant trois mois avant de lui trouver une place dans un EPHAD dans notre village. Mais si je continue à mener les deux gestions familiales de front sans parvenir à trouver un compromis, je crains fort pour la pérennité de mon couple dans le futur. J’assume également mon rôle de grand-mère en me rendant en Rhône –Alpes quand mes enfants ont besoin de mes services.
J’essaie malgré tout de trouver du temps pour moi… Je dirais même que je m’y oblige. Je suis une femme très active. Depuis plus d’un an et demi, je me suis inscrite dans une association de retraite sportive qui me permet d’évacuer par diverses activités (marche, yoga, méditation…) une infime partie du stress toujours croissant de ma vie quotidienne face à la maladie et aux contraintes familiales qui y sont liées.
Cette situation me pèse d’autant plus que je suis moi-même appareillée pour traitement de l’apnée du sommeil depuis 2009, avec des problèmes personnels de concentration. Je dois faire face à une multitude de problématiques à gérer pour le bien-être et l’accompagnement de ma maman. Notre objectif premier est le maintien à domicile de maman, et ceci nous demande un investissement personnel plus important comparé à la prise en charge par une structure d’accueil. Mais cette solution se révèle beaucoup trop onéreuse pour mes parents.
Lydie – 40 ans Maman et aidante de deux enfants porteurs de handicaps.
« Je suis 24h/24 aux côtés de mes enfants, 7 jours / 7.
Mon premier fils, Jules, 8 ans est autiste et ne dort pas, mon deuxième, Paul, 4 ans, est atteint de trisomie 21. Il est sous surveillance toutes les nuits pour ses apnées du sommeil et sa malformation du larynx. Je les habille, les nourris, les amène régulièrement à l’hôpital.
Mon aîné en septembre 2018 a fait 4 séjours à l’hôpital : je l’y accompagne et y passe la nuit. L’hôpital est à 1h30 de chez nous. A deux, ils ont 22 rendez-vous avec des professionnels (psychomotriciens, etc) par semaine. On essaie de s’arranger avec mon mari, qui travaille, mais même à deux on n’y arrive pas toujours. Et bien sûr, il y a tout le temps consacré à remplir les dossiers MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées, ndlr).
« Auparavant j’étais assistante maternelle. J’ai du arrêter de travailler pour des problèmes de santé liée à l’aide que je prodiguais. Lorsque mon premier fils autiste a été refusé à l’école en 1ère année de maternelle, j’ai ouvert une association pour aider les autres parents et enfants à évoluer avec leur situation de handicap. »
Ce refus d’entrée à l’école m’a beaucoup affectée à l’époque, mais j’ai vite réalisé que je n’étais pas la seule, ça a été le moteur de la création de cette association. Je me suis formée à la langue des signes et à toutes les méthodes de communication : PECS, ABA, TEACCH, ainsi que la formation Montessori. Mon association accueille les enfants porteurs de handicaps et les aide à évoluer le temps que l’école les accueille, ou pour prendre le relais lorsque les écoles les acceptent mais tout en les laissant de côté, dans les couloirs par exemple…
Les parents sont nombreux à être démunis car ils ne peuvent pas avoir de places en école, du fait du manque d’AVS (Auxiliaires de Vie Scolaire, ndlr). En l’absence de professionnel.le.s, il a fallu que je me professionnalise, pour pallier ce manque. Dans les CAMPS (Centre d’Action Médico-Sociale Précoce, ndlr) et les structures d’accueil, tous les professionnels sont en pénurie : orthophonistes, psychomotriciens. Devant cet état de fait, nous parents, on finit par devoir les remplacer.
Le parent n’est plus que parent, il est aussi éducateur, psychologue, psychomotricien. On n’a quasiment pas d’aides techniques ou financières, il faut bien qu’on se débrouille par nous-mêmes. Lorsqu’ils sont disponibles, les psychomotriciens, ergothérapeutes, …, sont payants. On est obligés de faire autrement.
Ma santé est directement impactée par l’aide que je procure à mes enfants. J’ai 3 hernies au niveau des cervicales, 4 au niveau des lombaires, inopérables car situées sur la colonne vertébrale, et une opération me ferait courir le risque d’être moi-même handicapée. J’ai aussi une fibromyalgie de stress, à force de courir partout avec les enfants. A force de les porter, j’ai deux défilés thoraco-brachial : les épaules pincent et bouchent les artères. J’ai récemment découvert que j’ai une spondylarthrite ankylosante, en plus de tout le reste. Je ressens de la fatigue physique, morale. Le plus jeune de 3 ans ne marche pas, il fait 17 Kg. Je ne vais pas le laisser à terre… Les poussettes ne sont pas forcément adaptées et quand j’arrive chez un.e spécialiste, souvent il n’y a pas d’ascenseur : je dois porter et mon fils et la poussette.
Les professionnel.le.s m’ont aidé : ils m’ont souvent appris à faire chez moi ce qu’ils faisaient dans leurs cabinets. D’autant que les professionnel.le.s manquent de temps et la sécurité sociale ne prend en charge le remboursement que pour des formats de consultations très courts.
Aujourd’hui, quand on est aidant.e., il faut souvent se former soi-même et se débrouiller tout.e seul.e. Les associations se donnent à fond pour le handicap, et ce sont de grandes aides. Et souvent elles ont été montées par des parents qui vivent la même chose que vous. Ces associations devraient être présentes dans les hôpitaux, pour soutenir les parents dès l’annonce du diagnostic. Et les associations organisent des événements, pour financer parfois ce que l’Etat ne prend pas en charge : sans réponse en France on doit se rendre à l’étranger pour des stages, des opérations, qui peuvent être hors de prix pour des parents et qui nous sont rendues accessibles grâce à l’énergie et la générosité de ces associations.